[BOTTES NEUVES]-2
- Tata Lili
- 16 sept. 2024
- 5 min de lecture
Après quelques jours les pieds dans l'eau, me voilà les pieds dans la boue.

Ici, j'ai tout à voir et à apprendre, je suis en terre inconnue. Le tourniquet peut vite arriver lorsque l'on est loin de chez soi, sans ses repères mais qu'on a tout à gagner.
C'est frustrant de ne "rien" savoir faire, de repartir à zéro. Lors de cette courte semaine d'apprentissage, je me suis surprise plusieurs fois à être extrêmement fatiguée. C'est un épuisement que je n'avais pas ressenti depuis ce sublime voyage en Australie, en 2011. L'apprentissage, s'adapter et absorber tout cela. Réellement, la fatigue physique vient en second plan.
C'est comme si une langue étrangère inondait mon palais. Comme si, je passer de la dernière classe collégienne à la première lycéenne, je suis petite.
Voilà une période provisoire ; celle où je parle plus discrètement, où je me sens parfois gêné ou "être de trop". Parfois, je me suis surprise à poser des questions où je connaissais déjà la réponse. Cette position ne me plait pas mais à force de me fréquenter, j'ai le sentiment de ne pas avoir le choix que de passer par là pour me sentir un plus chez moi.
Ou bien, un peu plus avec moi.
Être tout de suite à l'aise, se sentir dans son élément et ne pas vivre l'ombre d'un doute. C'est stupide, ce serait vouloir toujours être content et ne jamais être triste. L'un ne va pas sans l'autre. C'est pourquoi on aime tant quand des arc-en-ciel apparaissent.

Cette première semaine, je me suis familiarisé avec les chèvres dans une ferme à échelle humaine. Directement, on m'a intégré dans le nid familial, où les enfants, petits enfants et grands enfants vivent ensemble.
Mes petits déjeuners et déjeuners sont partagés sur cette grande table et le soir je rentre seule dans ma caravane sous le silence des chênes. Les repas sont copieux, et il n'est pas rare que mon hôte me fasse découvrir des plats Hongrois ou Allemand. Souvent, on mange se que l'on récolte, cueille et transforme sur place.
Ici, les troupeaux d'animaux n'existent pas, chaque animal est considéré comme un individu. On prend le temps de les observer individuellement, c'est beau de décrypter leur personnalité. J'apprécie de passer des bouts de journées à les regarder, un sourire au coin des lèvres. C'est aussi important de le faire pour repérer des possibles blessures. En faites, je recopie le comportement des éleveuses avec leur bêtes.
C'est beau quand une chèvre court vers vous pour que vous veniez lui gratter entre les cornes, juste là, un peu plus haut, non, un peu plus bas.
En fait, cette première semaine, les chèvres m'ont mise en confiance, elles ont été très sympathiques avec moi. Bah oui, ce sont elles les patronnes, c'est elles qui décident tous les jours comment est-ce que l'on va travailler. Je suis contente de m’être familiarisée avec cet animal, je craignais un peu d'avoir “peur” de les approcher, de les toucher.
S'en est suivi très rapidement l'apprentissage de la traite à la main. J'avais réussi à traire une chèvre que les autres en avaient fait 5. Enfin, je reste fière d'avoir réussi à faire sortir du lait de ces trayons, c'est dingue !
Il y a plusieurs bovidés... Des chèvres alpines, des chèvres angora, etc... Et aussi deux vaches jersiaises, des copines un peu capricieuses qui m'ont donné quelques sueurs.
Elles sont adorables, intelligentes, mais lorsqu'une vache décide de ne pas avancer, il faut se marier avec son temps, pas le choix. Tout les matins, pour les ramener aux champs après la traite, il faut traverser une départementale...
Une des vaches m'a échappé des mains et est partie en rodéo d'un coup, alors qu'elle stagnait quelques secondes avant. Comme si une mouche l'avait piqué (pas rare par ici). Alors j'ai appris deux choses à ce moment-là : Cela ne sert à rien de courir (la vache va bien plus vite que moi) et ce n'est pas facile de courir avec des bottes (d'ailleurs je n'avais jamais couru avec des bottes avant cette fois-là, je pense ouvrir une nouvelle discipline sportive).
La vache va bien, elle a l'habitude de ce trajet, elle savait qu'il n'y avait pas de voiture, elle a communiqué avec sa sœur qui était devant elle. A supposer qu'elle a couru de joie en apercevant son prunier préféré. C'est important de faire confiance à ses animaux, il n'y a pas de raisons que l'on en sache plus qu'eux. Il suffit de les observer pour apprendre à les connaître et leur faire confiance. Et pour qu'ils nous fassent confiance... Il faut qu'ils nous scannent, eux aussi.


Des bourdes, j'en ai fait plein, des gourdes j'en ai vidées pleins. Mais toujours sous l’œil averti des éleveuses, je ne me suis jamais sentie fautive. C'est agréable de travailler dans la bienveillance.
J'ai aussi fait l'expérience de deux marchés, la vente, ce secteur que je connais par cœur.
La frustration c'était de ne pas pouvoir aider, de ne pas pouvoir vendre, d'être “en observation”. J'ai déjà hâte d'en savoir un peu plus pour passer à la pratique.
A la ferme des amis, il y a aussi des poules, des coqs, des boucs, des cannes, des chats, des chiens, des chevaux, un verger, un potager, etc... Et toujours des amis de passage. A croire que cette ferme porte bien son nom.
Vous imaginez bien que les tâches sont très variées. Comme cette belle après-midi où nous avons fait une cueillette de murs et de prunes que l'on a transformés en confiture, puis vendus sur place ou sur les marchés (et bien évidemment pour tartiner nos petits déjeuners, miam).
Bien entendu, j'ai pu voir quelques bouts de procédé de fabrication fromagère, notamment pour les cabécous frais de chèvre et les yaourts au lait de vache (parce que la doyenne n'aime pas ceux au lait de chèvre... C'est mieux de fabriquer ce que l'on aime ^^).
Même en étant resté qu'une semaine, j'ai pu voir et appliquer presque toutes les étapes de fabrication pour les moulés à la louche (et les goûters !).

Sur mes temps de pause, je dors, je joue, je lis, je visite le village, je donne des coups de mains en plus si nécessaire, je vous écris, je prends des notes de ce que j'ai appris, je prends l'apéro avec mes hôtes ou bien je caresse le chat. Ce petit bout de vie dans un espace sans connexion, et sans être aimé, m'a permise de rester concentrée sur l'essentiel de cette première expérience : la découverte et la simplicité de vivre.
Salir ses bottes, se lever tôt, avoir une routine, ça fait du bien de mouler ses chaussures.
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